Un rare aquamanile en forme de lion de la seconde partie du XIIe siècle

Publié dans la Gazette Drouot, article par Sandrine Merle, le 14 novembre 2024

Au Moyen Âge, en l’absence d’eau courante, l’aquamanile s’avérait indispensable pour réaliser une pratique commune à la sphère religieuse et profane : se laver les mains avant la messe ou le repas. Le nom de ce récipient destiné à contenir de l’eau illustre d’ailleurs parfaitement sa fonction puisqu’il vient des termes latins aqua (« eau ») et manus (« main »). Aussi fonctionnel qu’esthétique, ce support, à riche décor symbolique, pouvait prendre la forme d’animaux, de créatures fantastiques mais également humaines. Celui-ci en bronze, à l’origine entièrement doré, figure un lion trapu avec une gueule carrée et un museau écrasé ; il appartient davantage à l’époque romane qu’à l’époque gothique où le corps du félin va s’affiner. On le remplissait par l’orifice fermé par un clapet, situé au sommet du crâne alors que sur d’autres, il pouvait se situer au niveau de la queue. Le bec verseur, un goulot circulaire, se trouve, quant à lui, toujours dans la gueule.
 

Caractéristique très rare pour un aquamanile : la queue du lion repliée sur le flanc au lieu de remonter sur le dessus pour faire office d’anse. Un élément clé puisqu’il facilite la manipulation.
Un aquamanile à usage profane ?


« Il fait partie des premiers aquamaniles réalisés au XIIe siècle, probablement dans la seconde moitié. Seule une petite dizaine de cette époque est parvenue jusqu’à nous », explique l’experte de la vente, Laurence Fligny. Sa provenance est prestigieuse : il a été réalisé en Lotharingie – un duché qui s’étendait des Pays-Bas à la Lorraine actuels –, l’un des grands centres de production d’œuvres en métal et en dinanderie. C’est là qu’officiaient des orfèvres renommés comme Nicolas de Verdun. La crinière est figurée par des virgules imbriquées et émaillées. La partie se prolongeant sur l’échine n’a pas été fondue avec le corps (c’est-à-dire coulée dans un moule en cire), elle est formée par une plaque ajoutée dans un second temps. Le décor n’est pas en émail champlevé comme pourrait le laisser supposer la proximité de Mosan, autre centre spécialisé dans cette technique. « En l’absence d’aspérité du métal, ce décor s’apparente davantage aux incrustations d’argent ou de nielle caractérisant deux aquamaniles très luxueux, l’un conservé à Vienne, l’autre au V&A de Londres. » Caractéristique très rare pour un aquamanile : la queue du lion repliée sur le flanc au lieu de remonter sur le dessus pour faire office d’anse. Un élément clé puisqu’il facilite la manipulation. « Celui-ci n’est pas très gros, il s’attrapait donc dans une main : raison pour laquelle la dorure, recouvrant le corps, a largement disparu. Cela me fait aussi dire qu’il était réservé à un usage profane plus que religieux », conclut Laurence Fligny. Cet aquamanile n’a jamais été publié, ni vu en vente depuis les années 1950, date à laquelle le grand antiquaire parisien, Charles Boucaud, l’a acquis à Drouot. Aussi les collectionneurs du Moyen Âge devraient être sur les rangs, comme certaines grandes institutions…